France / Russie : 2 milliards d'euros perdus à cause du Mistral ? Faux, pour 3 raisons

En raison de la crise ukrainienne, la France a refusé de livrer deux Mistral, initialement commandés par Poutine, à la Russie. Un arrangement a été trouvé entre les deux pays. Mais selon le "Canard Enchaîné", la facture serait très salée pour la France. Vraiment ? Dimitri Halby, co- fondateur de "No Mistrals For Putin", démonte les calculs du palmipède.
Article de Dimitri Halby paru dans L'Obs.

Les 2 Mistrals initialement commandés par la Russie, toujours à quai en France, à Saint Nazaire (SALOM-GOMIS/SIPA)
Les 2 Mistrals initialement commandés par la Russie, toujours à quai en France, à Saint Nazaire (SALOM-GOMIS/SIPA)

La semaine dernière paraissait un article dans le "Canard Enchaîné" concernant  "le vrai coût de l’annulation du contrat Mistral". Comme la plupart des articles concernant le contrat sur les BPC (Bateau de Projection et de Commandement) de type Mistral ces derniers mois, l’AFP et plusieurs médias ont repris, en grande partie sans vérifier ni remettre en cause, l’article d’origine. Analyse détaillée.

1- Des contrats envolés… mais des contrats gagnés

Le "Canard Enchaîné" dresse une liste de manques à gagner en prenant en compte les contrats potentiels perdus avec la Russie. Or si des contrats ont été perdus à cause de l’annulation du contrat sur les porte-hélicoptères, d’autres ont été gagnés pour la même raison.

Le 29 septembre 2014, le ministre de la Défense polonais Tomasz Siemoniak déclarait qu’il serait difficile à la Pologne de choisir un fournisseur français pour un contrat d’armement si les Mistral étaient livrés à la Russie. 8 milliards d’euros de contrats étaient ainsi mis dans la balance. Le gouvernement français a visiblement bien compris le message.

A la suite du report de la livraison, un premier contrat de plus de 2 milliards d’euros était attribué au constructeur français Airbus pour 50 hélicoptères de type Caracal. [1]

Trois autres contrats pourraient suivre pour un montant avoisinant les 4 milliards d’euros. [2]

Selon le "Canard Enchaîné", l'annulation du contrat Mistral représente 2 milliards d'euros de pertes. Résultat des courses en tenant compte du contrat attribué à Airbus, la balance s'équilibre.                                                   
2- L’entretien mensuel des navires, 5 millions d’euros ?

Le chiffre de 5 millions d'euros pour l'entretien des navires remet en question les sources de l’article du "Canard". Ce chiffre a été démenti par Hervé Guillou, le PDG de DCNS. Celui-ci expliquait il y a peu lors d’une conférence de presse que le vrai chiffre se situe autour de 1 million d'euros par mois.

3- 350 millions d'euros de marge bénéficiaire pour DCNS ?

Comme le souligne fort justement Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'IRIS, l'évocation par le "Canard" d'une marge bénéficiaire de 350 millions d'euros n'est pas crédible.

Pour n'importe quelle entreprise française, une marge bénéficiaire de 10% est considérée comme élevée et donc extrêmement rare, or d'après le "Canard", DCNS ferait une marge de 30% sur le contrat Mistral.

Ce chiffre de 350 millions provient à nouveau d'une source discutable et ne peut être pris au sérieux.

4- Transfert de technologie et construction de navires équivalents aux Mistral

Le "Canard", prenant comme source un "spécialiste du chantier" précise que grâce au transfert technologique, les Russes ont commencé la construction d’un navire équivalent au Mistral.

Les Russes peuvent déjà construire leurs propres porte-hélicoptères. Pour preuve, ils en construisent un depuis 10 ans. Il s’agit du "Ivan Gren" dont la construction a commencé en 2004 et devait être achevée en 2007. En 2015, il se fait toujours attendre.

Malgré la non livraison de ce dernier, il y a peu les médias russes clamaient haut et fort qu'en prévision de l’annulation de la livraison des BPC, ils avaient démarré la construction d’un porte-hélicoptère équivalent à ceux du type Mistral. Ce porte-hélicoptère ne peut transporter qu’un seul hélicoptère. Il s’agit d'un second "Ivan Gren". On est bien loin des déclarations tonitruantes de la presse russe et d’un navire équivalent aux Mistral. [3]

On peut ajouter à tout cela que d’autre frais révélés par le "Canard" (remboursement du port de Vladivostok, adaptation d’hélicoptères, formation des marins russes) sont des revendications de la Russie et que rien ne vient confirmer que ces revendications aient été acceptées lors des négociations entre l’Elysée et le Kremlin. [4]

En ajoutant a l'addition le prix de revente des Mistral, la France aura empochée un bénéfice de plusieurs centaines de millions d'euros dans l'affaire. Mais il ne s'agit ici que de compte d'apothicaires. Le plus important, et de loin, est que la France ne s'est pas rendue coupable de livrer des navires d'invasion a un pays qui ne respecte pas les lois internationales en annexant une partie d'un autre pays. [5]

[1] L'appareil H225M Caracal du constructeur de Marignane a passé avec succès fin mai 2015 les essais en vol en Pologne. L’heure est désormais aux négociations des précisions à apporter au contrat final. Le résultat final devrait être connu fin septembre 2015.

[2] Trois gros contrats polonais peuvent également être attribués à la France suite à l’annulation de la livraison.
- 3 sous-marins de type Scorpène pour une valeur totale estimée à 1,8 milliard d'euros
- 6 corvettes Gowind pour une valeur totale estimée à 1,3 milliard d'euros
- 32 hélicoptères d’attaque pour une valeur totale estimée à plus d’un milliard d'euros

Les deux premiers contrats concernent DCNS et contrebalanceraient aisément le manque à gagner mentionné par le "Canard Enchaîné". Le troisième contrat serait à nouveau pour Airbus Helicopter. Le total de ces trois contrats serait donc de 4,1 milliards d'euros, contrats que la France aurait définitivement perdus en cas de livraison des Mistral à la Russie.

[3] Capacité du porte-hélicoptères en construction : UN hélicoptère, 300 marins, 40 véhicules blindés. Capacité d’un Mistral : 16 hélicoptères, 900 marins, 60 véhicules blindés. L’amiral Viktor Chirkov, commandant en chef de la marine russe, a déclaré il y a peu que les chantiers navals et la technologie russe devaient s’adapter en vue de produire des porte-hélicoptère plus larges. Pour atteindre la capacité d’un Mistral, toujours selon M. Chirkov, il faudra attendre 2050.

[4] A titre d’exemple, les 32 hélicoptères Ka-52K (et non pas K52 comme le "Canard Enchaîné" l’écrit) ont été adaptés pour servir sur les Mistral mais le Kremlin a déjà annoncé que ces hélicoptères seraient utilisés pour d’autres projets. Il n’y a donc sûrement pas lieu de payer pour ceux-ci.

[5] A l'occasion du premier l'anniversaire de l'annexion de la Crimée, Vladimir Poutine a avoué lors d'un long documentaire télévisée, avoir planifié cette annexion et que les militaires qui avaient pris le contrôle de la péninsule Ukrainienne étaient bien des militaires russes sans insignes et non des milices d'autodéfense comme il le prétendait jusque la




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