Reportage, Saint Nazaire 19/10/2014, La Nuit Des Embrouilles



L'activiste de "No Mistrals for Putin", Bernard Grua, à la poursuite du "Vladivostok" fantôme ou comment le gouvernement français exerce son blackout sur une collaboration militaire avec le régime de Vladimir Poutine. Vaudeville et géopolitique à la sauce Hollandaise, Nazéropol, le 19 octobre 2014.

Dimanche 19/10/2014 - 20H30, lent et trompeur prélude


Le Vladivostok est toujours au terminal de Montoir bien gardé et caché derrière un mur de containers. Selon le garde, qui m'a empêché d'entrer, il doit partir cette nuit.


Les quatre chalands de débarquement construits par STX Lorient, pour le Vladivostok, sont dans le bassin de Penhoët à l'endroit habituellement occupé par le BPC. On y voit marqué : « ДК » (Десантный корабль = traduction littérale de "Chaland (navire, barge) de débarquement). Pour l’instant ils ne portent que le pavillon de STX, un peu comme s’ils accompagnaient, en sponsors, une course de voiliers. Cela ne fait pas très chic.


Smolniy en début de soirée: lessive, shashlicks à côté des poubelles, pause cigarettes et douches. Mais les shashliks refroidissent. Les marins se lèvent et se tournent pour ne pas que je photographie leur visage. Ce n’est pas comme leur compatriotes qui postent leurs actions et leurs tirs sur « VK », le Facebook russe. En France, on sait se tenir… C’est étonnant comme toute ces activités, cachées derrière les algécos ne sont pas visibles depuis le Smolniy. Le Commandant doit être content. Tout est Nickel, Kremlinesque, tant qu’on ne regarde pas les arrières cuisines. En tout cas, en ce qui concerne les visiteurs, c'est une carte de visite un peu étrange pour la Marine de Cronstadt. On ne voit que ça. Quoi qu’il en soit, pas d’agitation inhabituelle, pas de sac préparé, pas de colonne prête à se mettre en mouvement. L’ennui. Peut-être cela bougera plus tard ? J’ai le temps.


Un marin déambule avec une veste aux inscription « ДВКД – СЕВАСТОПОЛЬ » Десантные вертолетоносные корабли-доки (abréviation de BPC en russe). Il faut donc lire: "BPC Sevastopol".


Encore un garde qui me dit:"Vous n'avez pas le droit de faire de photo". Je lui réponds en russe:"Pourquoi? Je suis en France, je suis français. Ici, ce n'est pas le Donbass." Je le sens découragé.
Selon une activiste, il aurait le visage d'un habitant de Pskov, la ville à côté de Novgorod (la Grande). Mais on note qu’il a un nom de famille finissant en "ko". Serait-il ukrainien ? Toujours selon la même activiste, « il y a beaucoup de gens qui sont d'origine ukrainienne autour de Saint-Pétersbourg et dans ces villes du Nord. » Rappelons que Novgorod était une place marchande très importante de la Principauté de Kiev, avant même la création de Moscou.. La main-mise moscovite sur la République de Novgorod par Ivan IV, alias Groznyï ou le Terrible, s'est traduite par de nombreux massacres, mettant fin au fonctionnrmrnt original de cette structure démocratique.


Quand je disais que cette barcasse irait bien dans un album de Hergé, j'ai vu Tintin et le Capitane Haddock à côté du Smolniy. Ils sont comme moi, perplexes.


La construction du Sévastopol avance rapidement.





Je suis allé à l'épicerie, j'ai vu quatre russes qui faisaient des courses. Renseignement pris, auprès du patron, ce sont des soudeurs ukrainiens qui travaillent, chez STX, sur le paquebot Oasis... Dommage, ils étaient déjà partis. J'avais des badges "No Mistrals for Putin" à leur donner. Ok, comme le disait un de nos contradicteurs: « les bateaux, cela fait des emplois pour les gens de St Nazaire »

Bon, là je dîne. Après cela j'essaye de voir ce qu'ils font monter dans le Vladivostok à Montoir. Je vais passer la nuit dans la voiture pour surveiller: sac de couchage et chaussettes polaires. Quelqu'un peut m'envoyer de la vodka par émail?

ALERTE, Dimitri Halby m’adresse un message en me disant que le Vladivostok appareille !

Dimanche 19/10/2014 - 23H00, il a filé !





J'ai rodé autour du Vladivostok pendant deux heures avant et à la tombée de la nuit. Autour, c'est une façon de dire. A une certaine distance, mais j'ai trouvé un accès pour les fois prochaines. Je n'ai pas vu, là non plus, de mouvement particulier. 
Et puis, le BPC est parti dès que la nuit est vraiment devenue très sombre. Bref, je l'ai raté. Un fantome, comme je le disais sur France Culture Est-ce celà la politique extérieure de la France?

Près du vieux môle d'où je comptais l'observer, j'ai entendu des voix qui émergeaient de l'obscurité. Je leur ai demandé s'ils avaient vu passer un grand bateau gris. "Oui, 20 minutes avant."

C'était des marins russes qui venaient, chacun, de s'envoyer une bouteille de vin. Alors nous avons parlé, pendant plus d'une heure... En tout cas cette sortie du Vladivostok semblerait concerner que quelques officiers supérieurs (d'où l'absence de mouvement de personnel). Il s'agirait là vraiment de tests et non pas de formation.

Les marins rencontrés étaient deux artilleurs et un électronicien (homme cultivé) du futur Sébastopol. Ils parlaient très librement, pas de FSB dans les parages. Le bateau est prêt à partir. Ils sont formés. Ils ne comprennent pas pourquoi ils sont encore là. Le Smolniy et le Vladivostok partiraient vers le 28 novembre. Ils trouvent que le Vladivostok roule vraiment beaucoup (surélévation et poids du pont supérieur renforcé?). Ils ont pas mal visité la région en vélo. Ils l'aiment bien, mais ils veulent rentrer à la maison...
Le Smolniy comprend bien 500 personnes: son équipage et les deux équipages de BPC. Les trois marins disent qu'ils vont s'ennuyer pendant le mois qui reste. Il n'y a plus rien à faire. Et les chefs disent qu'il n'y a plus d'argent pour organiser des activités.

A propos d'argent, les trois marins ajoutent que c'est dur avec l'Euro à 50 Roubles. Là aussi, ils ne comprennent pas pourquoi le Rouble est si bas. A 23 heures, ils doivent retourner à bord du Smolniy sauf ceux dont l'épouse est à St Nazaire.


J'ai pu parler avec eux parce que je les ai abordés en russe et parce que je leur ai montré que je connaissais très bien leur pays. L'alcool et le mal du pays aidant ils étaient contents de bavarder. Moi de mon côté, j'ai coupé mes questions d'intermèdes sur leur magnifique pays qui les faisaient sourire de plaisir. Pour une fois, je n'ai pas été traité de "Шпион"

Ils étaient gentils et chaleureux, comme savent l'être les Russes dans la sphère privée. On a parlé des fleuves, des trains, des bâteaux, de la populaion russe, de la Sibérie etc... Ils soutenaient que notre pays était le plus grand d'Europe. Je leur ai dit que la Russie d'Europe était plus grande que la France. J'ai ajouté que l'Ukraine était un pays européen plus étendu que la France. Celui qui parlait le plus a lancé une blague: "L'Ukraine est plus grande que la France, mais c'est avec ou sans la Crimée?". Croyez le ou pas, je n'ai rien rétorqué. Nous nous sommes quittés bons amis mais je ne leur ai pas donné de badge "No Mistral for Putin". En d'autres circonstances, j'aurais eu grand plaisir à les recevoir chez moi ou à leur faire visiter la région. Vivement que le Huylo dégage!
Ensuite, je suis retourné à Nantes.

Lundi 20/10/2014, on en parle, ensemble


Une activiste me demande : « Et pourquoi ne pas dire que vous êtes un des militants de "No Mistral for Putin"?» Peut-être s'était une chance unique pour vous et eux??? »

Je préférais parler des endroits de Sibérie que j'aime bien, tel le Baïkal, et que l'électronicien connaissait bien. Je ne pense pas que je pourrai y retourner, alors c'était assez nostalgique pour moi. Ils étaient intéressés aussi par ce que je leur disais de la Iakoutie et des milliers de kilomètres sur la piste de la Kolyma par –50°C. Ils étaient fiers de ce que je leur disais de leur pays, de mon œil de Français et des raisons qui font que je regretterai de ne plus y aller.
Et en même temps, je voulais en apprendre le plus possible sur les BPC. Il fallait y aller doucement, sans tension, diluer les questions. Normalement, les marins russes à St Nazaire ne parlent pas. Donc je considérais que j'avais déjà de la chance.

Mais, peut être, aurais-je dû dire pourquoi j’étais là? Je ne sais pas. En tout cas, s'ils avaient su qui j'étais et s'ils avaient approuvé mes propos, je ne l'aurais pas mentionné ici pour ne pas leur nuire.

Merci à tous les activistes qui par leur intérêt, leurs observations, leurs questions voire leurs contradictions, toujours utiles, m’ont aidé à rédiger ce document : Diana, MariAnna, Assia, Paul, Michal, Dimitri, Inga, Pierre, Igor, Edmond, Isa, Katell, Hervé, Quentin, Nicolas, Basile, Alla, Viktoria, Linas, Marina, Eugenia, Volodmyr, Ingrid, Fib, Gilles, Anastasiya, Viktor, Andrey, Noémie, Jean-Yves, Guillé...

20/10/2014 - Auteur: Bernard Grua, Nantes - Mise en page web, Dimitri Halby, Dublin

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